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Aurélya Bilard

Elisabeth Moreno et la féminisation des métiers du numérique : "Le constat est amer"

Le 7 novembre, l'éditeur de logiciel Salesforce présentait en grande pompe son Agent autonome lors d'un événement au Palais des congrès de Paris. Après avoir annoncé que le groupe allait investir un million de dollars dans le programme "Tech your future with AI" pour former 1 120 jeunes à l'intelligence artificielle en France, une table ronde dédiée à l'IA et l'emploi a réuni un panel d'exception avec, entre autres, Elisabeth Moreno, Présidente de la Fondation Femmes@numérique et Thibaut Guilly, Directeur général de France Travail. En marge de la conférence, lors d'un point presse, Boodoom Le Mag a pu poser une question à l'ancienne Ministre déléguée à l'Égalité, la Diversité et l'Égalité des chances. Découvrez sa réponse sans langue de bois !


 

Boodoom Le Mag : On parle beaucoup de la féminisation des métiers du numérique. Mais, on constate que la progression reste lente. Que peut-on faire pour améliorer les résultats ?


Elisabeth Moreno : Quand je suis entrée dans la tech il y a vingt ans, j’étais convaincue que le secteur serait un accélérateur de carrière pour les femmes. Parce que c’est la première révolution industrielle accessible à tout le monde. Avec cet outil, vous pouvez être à Paris, en France et vendre votre fromage à Boston, aux États-Unis. Je réalise cependant qu’il y a plusieurs freins, le constat est très amer. On a beaucoup moins de jeunes filles qui s’intéressent aux métiers de la tech qu’au moment où j’ai démarré il y a vingt ans. C’est absurde.


On voit des pays émergents qui avancent beaucoup plus rapidement que nous sur ce sujet. J’étais au Maroc la semaine dernière [propos recueillis le 7 novembre 2024], il y a 60 % de filles dans les filières d’ingénierie. Nous, nous sommes à peine à 40 %. Je pense qu’il faut prendre le problème à la source. Si on n’a pas de jeunes filles qui étudient dans ce secteur, alors on n’aura pas de femmes dans ce secteur. Nous n’avons pas fait grand-chose, en tout cas de manière réellement volontaire, pour faire bouger les lignes. Entre les paroles, les belles intentions et l’action, il y a un fossé immense et colossal. Aussi bien de la part des politiques publiques que des entreprises.


Tout le monde en parle, mais lorsque vous demandez quelles sont les actions concrètes qui ont été mises en place, vous vous rendez compte qu’on ne considère pas le sujet comme suffisamment important pour que ce soit discuté dans les Comex au niveau des sujets stratégiques. On n’en parle pas sur la question de l’attractivité des talents, sur la question de la rétention des talents, personne ne se pose la question de savoir pourquoi à partir de 35 ans, le peu de femmes qui entrent dans le secteur disparaissent (NDLR : plus de 50 % des femmes quittent le milieu de la tech selon plusieurs études). On prend ça comme un sujet anecdotique alors que cela devient une question de ressources, de performance et d’efficacité.


Si j’avais une baguette magique, j’agirais d’abord sur l’éducation, il faut changer la place que l’on donne à l’étude des technologies et des sciences et ça demande que l’on travaille sur les biais et les préjugés qu’il y a dans l’éducation, car elle n’y échappe pas. Il faut embarquer les parents dans cette affaire, parce que si à l’école vous dites à une jeune fille : « Mais toi aussi tu peux coder », et que lorsqu’elle rentre à la maison ses parents lui disent : « Non, mais tu n’es pas sérieuse, codeuse, c’est un métier de garçon », on n’y arrivera pas.


Donc il y a aussi un travail à faire auprès des parents pour qu’ils comprennent les métiers qu’il y a derrière ces formations. Parce qu’il s’agit aussi d’un frein que j’ai constaté en allant à la rencontre des jeunes filles. Elles ne savent pas sur quels métiers débouchent ces études. [Il faut expliquer] qu’avec les sciences et les technologies, vous pourrez sauver des vies, éduquer, faire du droit… On n’a pas rendu la technologie suffisamment vivante et attractive, pour qu’elle donne et apporte une certaine motivation à cette jeunesse et particulièrement aux filles qui ont vraiment besoin de se dire que ce qu’elles font sert à quelque chose.

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